jeudi 30 octobre 2008

Si nous voulons croître en la vie divine, l'Esprit doit être notre première préoccupation. Tant que nous ne l'avons pas révélé et développé en nous-mêmes, hors des enveloppes mentales, vitales et physiques qui le déguisent, dégagé avec patience de notre propre corps, comme il est dit dans l'Oupanishad, tant que nous n'avons pas construit en nous-mêmes une vie intérieure de l'Esprit, il est évident qu'aucune existence divine extérieure ne peut devenir possible. À moins, évidemment, que ce ne soit une divinité mentale ou vitale que nous ayons en vue et que nous voulions être; mais même alors, l'être mental individuel, ou l'être de pouvoir, de désir et de force vitale en nous, doit croître et devenir une forme de cette divinité, avant que notre vie puisse être divine dans ce sens inférieur, la vie du surhomme infra-spirituelle, du demi-dieu mental ou du titan vital, déva ou asoura.

Cette vie intérieure une fois créée, notre autre préoccupation doit être de convertir tout notre être de surface, nos pensées, nos sentiments, toutes nos actions dans le monde, en un instrument parfait de cette vie intérieure. C'est seulement si, dans les parties dynamiques de notre être, nous vivons de cette manière plus profonde et plus grande, que nous pouvons trouver la force de créer une vie plus grande ou de refaire le monde en un instrument parfait du mental et de la vie ou en un instrument parfait de l'Esprit. Un monde humain parfait ne peut être créé par des hommes imparfaits ni composé d'hommes qui sont eux-mêmes imparfaits. Même si toutes nos activités sont scrupuleusement réglées par l'éducation, la loi, ou par un mécanisme social ou politique, il n'en résultera qu'un type de mentalité réglementé, un type de vie fabriqué, un type de conduite artificiellement cultivé; mais un conformisme de cette sorte ne peut pas changer, ne peut pas recréer l'homme du dedans, il ne peut pas tailler ou sculpter une âme parfaite, un penseur parfait, un être vivant et croissant parfait.

Car l'âme, le mental et la vie sont des pouvoirs de l'être qui peuvent croître mais qui ne peuvent pas être taillés ou fabriqués; une formation ou un processus extérieurs peuvent aider ou peuvent exprimer l'âme, le mental et la vie, mais ne peuvent pas les créer ou les développer. On peut certes aider l'être à croître, mais ce n'est pas en essayant de le manufacturer, c'est en lui prodiguant des influences stimulantes ou en lui prêtant les forces de son âme, de son mental, ou de sa vie; mais même ainsi, la croissance ne doit pas venir du dehors, elle doit venir de l'intérieur de l'être, et depuis là, déterminer comment seront utilisées ces influences et ces forces. Telle est la première vérité que notre aspiration et notre zèle créateurs doivent apprendre; sinon tout notre effort humain est d'avance condamné à tourner futilement en rond et voué à un succès qui n'est qu'une faillite déguisée.

Être ou devenir quelque chose, amener quelque chose à l'existence est tout le labeur de la Nature et de sa force; savoir, sentir, faire, sont des énergies subordonnées qui ont leur valeur, parce qu'elles aident l'être à se réaliser partiellement afin d'exprimer ce qu'il est, et qu'elles l'aident aussi dans son élan pour exprimer le “plus encore” qu'il n'a pas réalisé et qu'il doit être. Mais la connaissance, la pensée et l'action, qu'elles soient religieuses, éthiques, politiques, sociales, économiques, utilitaires ou hédonistes, que ce soit une forme ou une construction mentale, vitale ou physique de l'existence, ne peuvent pas être l'essence ou le but de la vie; ce sont seulement les activités des pouvoirs de l'être ou des pouvoirs de son devenir, des symboles dynamiques de lui-même, des créations de l'Esprit incarné, ses moyens de découvrir et de formuler ce qu'il cherche à être. Parce qu'il prend pour essentielles ou fondamentales les forces ou les apparences superficielles de la Nature, le mental physique de l'homme a tendance à voir autrement et à tourner sens dessus-dessous la vraie méthode des choses.

Il prend les créations de la Nature au moyen de procédés visibles ou extérieurs pour l'essence même de son action et ne voit pas que c'est une simple apparence secondaire qui recouvre un processus secret plus grand. Car le processus occulte de la Nature est de révéler l'être en faisant apparaître ses pouvoirs et ses formes; sa pression extérieure n'est qu'un moyen d'éveiller l'être involué à la nécessité de cette évolution, de cette formation de soi. Quand le stade spirituel est atteint dans l'évolution de la Nature, ce processus occulte doit devenir le processus total. Il est donc d'une importance capitale de traverser le voile des forces et de toucher leur ressort secret qui est l'Esprit lui-même.

Devenir soi-même est la seule chose à faire; mais le vrai soi-même est celui qui est au-dedans de nous, et dépasser notre moi extérieur corporel, vital et mental est la condition pour que cet être le plus haut, qui est notre être véritable et divin, se révèle lui-même et devienne actif. C'est seulement en grandissant au-dedans et en vivant au-dedans que nous pouvons le trouver; une fois que cela est fait, le but final que la force de la Nature nous propose, c'est de créer, depuis là, un mental, une vie et un corps spirituels ou divins et à l'aide de ces instruments, d'arriver à la création d'un monde qui soit le vrai milieu d'une existence divine. La première nécessité est donc que l'individu - chaque individu - découvre l'Esprit, la Réalité divine qui est en lui et qu'il l'exprime dans tout son être et toute son existence.

Une vie divine doit être d'abord et avant tout une vie intérieure. Car du moment que l'extérieur doit être l'expression de ce qui est au-dedans, il ne peut y avoir de divinité dans l'existence extérieure si l'être intérieur n'est pas divinisé. Dans l'homme, la Divinité habite voilée son centre spirituel; s'il n'a pas réellement en lui un moi éternel, un esprit éternel, il est impossible que l'homme parvienne à se dépasser lui-même ou qu'il trouve une issue plus haute à son existence.

La Vie Divine par Sri Aurobindo

mardi 28 octobre 2008

L'Heure de Dieu



Il y a des moments où l'Esprit se meut parmi les hommes, où le souffle du Seigneur se répand sur les eaux de notre être. Il en est d'autres où il se retire et abandonne les hommes à leurs actes, dans la force ou la faiblesse de leur propre égoïsme. Les premiers sont des périodes où même un léger effort suffit à produire de grands résultats et à changer la destinée, les autres sont des espaces de temps où un grand labeur n'apporte que de maigres résultats. Il est vrai que ces moments-ci peuvent préparer les premiers; comme la fumée légère du sacrifice montant vers le ciel, ils peuvent appeler ici-bas la pluie de la munificence divine.

Infortunés, l'homme ou la nation, qui se trouvent endormis lorsque arrive le divin moment ou qui ne sont pas prêts à s'en saisir parce que la lampe n'a pas été entretenue pour l'accueillir, parce que leurs oreilles sont restées sourdes à l'appel. Mais trois fois malheur à ceux qui sont forts et préparés, et qui cependant gaspillent leur force ou mésusent de ce moment ; pour ceux-là, la destruction est grande et la perte irréparable.

Lorsque vient l'Heure de Dieu, purifie ton âme de toute tricherie avec elle-même, de toute hypocrisie et vaine infatuation, afin que tu puisses regarder droit dans ton esprit et entendre ce qui l'appelle. Toute absence de sincérité dans la nature - c'était autrefois ta défense contre l'oeil du Maître et la lumière de l'idéal - devient maintenant un défaut dans ton armure et une invite pour les coups. Et si tu vaincs pour l'instant, c'est plus grave encore pour toi, car le coup viendra sûrement qui te jettera à terre au milieu même de ton triomphe. Mais si tu es pur, rejette toute crainte. L'heure est souvent terrible, telle un feu, un tourbillon, une tempête, telle les vendanges foulées sous la colère de Dieu.

Mais celui qui peut se tenir debout à cette heure, soutenu par la vérité de son but, celui-là durera; même s'il tombe, il se relèvera; même s'il semble passer sur les ailes du vent, il reviendra.

Ne laisse pas non plus la prudence du monde murmurer de trop près à tes oreilles, car c'est l'heure de l'inattendu, de l'incalculable, de l'incommensurable. Ne juge pas du pouvoir du Souffle à la mesure de tes minuscules instruments, mais aie confiance et avance.

Mais garde ton âme le plus que tu peux nette des vociférations de l'ego, même si ce n'est que pour un moment. Alors une colonne de feu marchera devant toi dans la nuit et la tempête sera ton auxiliaire et ta bannière flottera sur les plus hauts sommets de la grandeur qui était à conquérir.

Sri Aurobindo 1918